VARIANTES RETROUVÉES SUR DES FICHES DE MARIE-ODILE
Sur la croix que tu as portée
Te voici cloué
Entre deux anonymes
Des moins que rien
Toi, Jésus, corps transpercé
Sans forme
Sans figure
Dévisagé
Avec cet écriteau : Jésus le Nazaréen, le roi des Juifs
Roi l’es-tu ?
Toi qui tourne en dérision les puissants
C’est écrit en toute langue
Etend les bras sur tous les humains de tous les temps
Etends les sur les moins que rien d’abord
Et sur ceux qui croient quelque chose aussi, quand même
Telle est ta royauté
Un des larrons comme toi crucifié t’adresse une parole
Peut-être a-t-il compris que la Parole
C’est là l’objet de ta condamnation
Tu vas mourir sur cette croix parce que tu as parlé
Tu as parlé, Parole
Tu meurs d’être Parole
Tu es le roi de la Parole
C’est la Parole qui est crucifiée
Le larron qui sort de son mutisme et te demande de se souvenir de lui
Tu lui dis « ce soir tu seras avec moi dans le paradis »
Parole de l’amant à l’amante
De l’amante à l’amant
Ce soir, dans mes bras, le paradis
Parole d’amour dite au moins que rien
Parole d’amour dite à tous les humains
S’ils veulent bien rejoindre la Parole
et entrer en silence
ce soir tu seras avec moi
dans la Parole du silence
tu es Jésus le roi de la parole
elle n’a jamais fini de parler, la Parole
Juste avant les paroles en lesquelles tu expires
Tu dis à ta mère : femme voici ton fils
Longtemps, Marie, tu t’étais préparée à entendre la parole à toi adressée
Et la parole destinée à Jean par le mourant de la croix :
« voici ton fils, voici ta mère »
Parole déplacée
Parole qui déplace la relation
C’est ainsi
Amen
Nous n’avons rien à dire
Il explicite, le mourant de la croix,
Le vœu de toute maternité
D’aimer toujours comme une mère
Même quand meurt cruellement
Injustement
L’humain dont elle a accouché
Il fallait cette parole
Pour que les femmes au pied de la croix
Avec Marie
Et nous qui faisons ce chemin de croix
Nous survivions à notre détresse
A notre désolation
De te voir, Jésus,
Corps en son agonie
Inaccessible aux tiens
Au sentir de leurs gestes
Aux baisers de leurs lèvres
A leurs murmures enamourés
Seul, Jésus, sur la croix élevé,
Comme à Gethsémani
Seul pour la gloire de l’unique nécessaire
Ta solitude, Marie,
Quand meurt cet enfant
Dont depuis longtemps
Tu es la mère dépossédée
N’était-il pas en route
Pour donner la Parole
Ta solitude est une solitude habitée
Tu demeures sa demeure
Jean te prend chez lui
Chez lui tu demeures
Toi en qui demeure la parole
Ce qui a déjà eu lieu
Ce qui par toi a toujours eu lieu
Qui demeure en qui ?
Demeurez en moi
Ce qui est écrit : le roi des juifs
Le savez-vous
C’est le roi de la Parole
La parole en qui tout demeure
En qui tout se déploie
C’est le roi du silence
[Simon aide Jésus à porter sa croix]
Un épisode du funeste cortège
Un moment de la navette du condamné
Il est livré à ceux qui le réclament
Pourquoi tant de haine
tant d’envie ?
pour la Parole qu’il ose dire
parce qu’il tient parole
ils n’ont pas saisi que c’était la Parole
ils ne savent pas ce qu’ils font
livré à la foule, Jésus,
tu pourras continuer le jeu scénique de la dérision
ne l’as-tu pas ouverte
en homme libre
ta carrière de bouffon
en entrant à Jérusalem
sur le dos du petit d’une ânesse
qu’est-ce que ce roi de gloire,
roi de la Parole
et
roi du silence
qui se moque des pouvoirs et des savoirs
tu l’avais commencée toi-même
la parodie de la royauté
aujourd’hui l’achèvent-ils ?
rien n’est jamais achevé
c’est même ici que tout commence
déjà ils ont masqué ta face couronnée d’épines
ils ont fait de toi
une chair ensanglantée
ils t’ont affublé d’insignes de pacotille
Roi ? L’es-tu ?
Ce n’était pas assez, ils t’ont fait porter ta croix
Et voici qu’on appelle
Non pas à ton secours
Mais pour ajouter à l’humiliation des puissances
Un homme sans condition, un petit
Un de ceux dont tu fais plus encore ta demeure
Le porteur de ton « je » énigmatique
Ce je qui souffre des douleurs de tous les autres
Ce je qui dit des petits et des pauvres
Qu’ils sont Toi
« c’est à moi que vous l’aurez fait »
Simon de Cyrène
Comme dans un rêve
Les condense tous
Ces petits et ces pauvres
Et comme un figurant de ce que tu veux être
-Le petit et le pauvre-
Tu veux être le premier
A porter ta croix
Etre de ces petits dont tu dis que c’est toi
Je le veux
Te voir en ces petits, je le veux
Délivres moi de la tentation de croire
En un Dieu de puissance
Un Dieu qui pourrait tout
Avec toi, le Dieu qu’on appelle Père
La source du divin
Qui de nous tous faits des dieux
Ne peut rien à ta mort
Ni rien aux génocides
Porter ta croix avec toi
Jésus
C’est aider Dieu à être Dieu
C’est en louange de gloire
De ce roi, mon roi
Dont la gloire est que
Abîmés en lui
Tous, l’humanité toute entière
Nous soyons un
Eclairons notre nom
A l’ombre de la croix
Soyons tous des gens de la croix